Le Pr. Loïc Josseran est vice-doyen de l’université Versailles Saint-Quentin (Yvelines) et médecin en santé publique à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine) spécialisé dans l’accueil d’adultes et d’enfants souffrant de handicaps lourds. Il relit avec nous les principaux enjeux autour de la formation technique et humaine des médecins.
Notre système fait face à une évolution assez radicale des pratiques médicales, tant par leur technicité que par la rareté de la ressource. La crise du Covid n’a fait que mettre en lumière quelque chose qui était déjà bien connu, elle a amené cette crise des ressources sous les feux des projecteurs et permis une prise de conscience un peu plus aigüe de la part du décideur politique. Les professionnels de santé concernés sont médecins mais aussi infirmiers, pharmaciens, dentistes… toutes les professions confondues. Et on en a enfin pris conscience !
Nous avons eu une réforme très massive des études de médecine, revues presque de fond en comble en 5 ans. Tout a été revu, de la 1ère année à la dernière année d’internat. C’est une période très instable pour les universités : un monde qui a évolué très vite, par exemple le concept du numérus clausus a disparu en à peine un an. On a initié la réforme alors que tous les textes n’étaient pas parus… On a commencé l’année sans savoir où on allait la finir. Pour bien illustrer ça il faut savoir par exemple que l’année dernière on a rendu nos résultats le 26 juillet et que les derniers textes avaient été publiés le 24. On est dans un temps politique qui complique la donne.
Il y a d’ailleurs une défiance envers les études de santé, envers l’institution universitaire liée à cette instabilité. D’autant plus qu’il est bien trop tôt pour envisager de communiquer sur les fruits, les avantages, de ces réformes.
Réformes des études de santé
Ce n’est plus un concours parce qu’il y a un système de rattrapage, mais ceux qui réussissent les rattrapages n’iront pas en 2e année de médecine ! C’est donc légalement et administrativement que ce n’est plus un concours, mais cela reste un « examen classant à places limitées » … appelez-ça comme vous voulez mais cela reste assez proche dans l’esprit ! Je m’évertue à le rappeler aux étudiants en permanence.
Les places ont augmenté mais en se diversifiant, on a simplifié l’accès pour des étudiants venues d’autres voies que la Première année. Par exemple pour des étudiants qui viennent du droit, d’autres filières de sciences, de philosophie… etc. C’était quasiment impossible pour eux avant.
Le problème est que par ce biais là on ne remplit pas nos promotions : environ 150 places, à peine 100 candidats et ils ne seront pas tous pris. Et à l’inverse, du côté de la première année classique j’ai 750 étudiants pour 147 places… là je vais les remplir, pas de problème !
On est dans un système extrêmement réformé qui conserve la même logique de sélection. Les étudiants sont donc toujours aussi « mal traités » qu’il y a 30 ans quand j’y suis passé ! Et il faudra entre 10 et 15 ans pour voir les avantages de ce nombre de places augmentées, le temps qu’on forme un médecin.
Une idéalisation risquée
Je crois qu’il faut démystifier ces études. J’en veux terriblement à tous ces feuilletons télévisés qui vendent une image idyllique de la profession médicale. Tout se passe toujours bien, tout se règle toujours en 50 minutes, si le patient meurt il meurt gentiment, la famille est toujours contente… S’il ne meurt c’est qu’on l’a sauvé d’un truc « insauvable », etc. Vous n’imaginez pas la quantité de jeunes qui se précipitent vers la médecine avec cette image.
Derrière, tous ces étudiants se retrouvent en échec lorsqu’ils réalisent qu’une famille n’est pas « sympa », qu’un patient, lorsqu’il meurt, ce n’est pas « sympa », qu’une chambre ça pue, que l’infirmière n’est pas sympa, qu’elle est surmenée... Ils se prennent cette réalité au visage, à laquelle s’ajoute la charge administrative, et beaucoup arrêtent à cause de ça. Quand une série a montré un jeune autiste médecin qui sauvait tout le monde on a vu débarqué plusieurs étudiants concernés par l’autisme… Alors tout est mis en place pour que des personnes qui vivent avec un handicap puissent s’en sortir mais parfois la vocation n’est pas là, et même empêchée par le handicap. Typiquement, celui qui a réussi, en ayant des troubles du spectre autistique, dès l’année de « pratique » a demandé à être plutôt en laboratoire qu’à l’hôpital !
Féminisation et vocation sociale
Il y a plus de 80 % de femmes en études de médecine, c’est peut-être génial, peut-être que « l’esprit féminin » est mieux accordé avec une forme d’humanisme qui sied à la profession, mais on est encore dans un schéma social qui fait que beaucoup seront en exercice à temps partagé par désir d’être auprès de leurs familles, ce que je comprends complètement. Mais en temps médical, sur le terrain, il vous faut ainsi deux médecins pour combler un temps plein.
L’avantage des nouvelles logiques de sélection est que les places sont fixées par les Agences Régionales de Santé (ARS) et qu’elles vont donc davantage dépendre des besoins du territoire que lorsque la décision était ministérielle. C’est intéressant parce que si je prends l’exemple des Yvelines, - département dans lequel on pourrait croire qu’on n’est pas les plus à plaindre, c’est vrai - si l’on sort de Versailles et Saint-Germain-en-Laye on est dans du désert médical. Lorsque vous vous rapprochez de Trappes vous touchez à un morceau de la misère humaine.
Une décision régionale permettra de mieux s’investir sur ces manques de médecin. Et cela rejoint un élément prégnant vers lequel je veux orienter notre université : le rôle social des facultés de médecine. On est soutenus sur ce thème par l’OMS : nous devons lutter contre une forme d’élitisme dans nos formations en santé. On est ainsi très fiers de nos CHU, de nos centres de recherche, de notre capacité à greffer la tête, le cou, les pieds, etc. Mais à côté de ça on oublie les quartiers difficiles, où il faut à la fois entendre les besoins, réussir à motiver les étudiants à y aller, à s’y installer un jour et aller chercher des candidats.
Les médecins sont aujourd’hui « comme les autres », ils vont viser les zones les plus sympas et fuir les zones les désertes. C’est comme ça que la Creuse se vide, et elle se vide autant en médecins. Tout le monde veut une FNAC, un Darty, un Conforama… Puis quand on a des enfants on veut un lycée, un collège, une crèche…
Les études sont aussi difficiles d’accès aux jeunes résidants de quartiers difficiles parce qu’il faut avoir les conditions matérielles pour bien étudier. Je l’ai vu avec le confinement et des situations opposées : la jeune fille qui a son propre appartement, sa chambre et son ordinateur, face à celle qui partage sa chambre avec 3 personnes, un ordinateur avec toute sa famille, un réseau wifi bancal… C’est là aussi que les universités doivent progresser. Il faut qu’on comprenne ce besoin, qu’on soit en capacité d’y répondre, pour permettre à des jeunes qui ont soit mis la médecine de côté trop tôt soit qui imaginent que ce n’est pas pour eux d’avoir la possibilité de se poser davantage la question.
Il y a évidemment, une vraie question de budget, de financements. Quand j’ai des amphis en médecine de 500 places pour 750 étudiants je suis un peu limité ! Je dois organiser des Travaux dirigés à 300… ce n’est pas simple. La formation médicale tourne au maximum de ce qu’elle peut produire. Donc même si ça vous semblera un peu facile comme réclamation c’est assez évident : on manque de moyens.
À Orléans, le Maire réussit actuellement à ouvrir une nouvelle faculté de médecine pour répondre aux besoins du département, en partenariat avec celle de Tours. Mais les moyens matériels, humains, à mettre en place pour ça sont colossaux.
Former des médecins empathiques
Pour en revenir à la sélection des étudiants, l’équation est évidemment compliquée entre le triplant dont on est convaincu qu’il fera un excellent médecin, qui va rater le concours à un demi-point, et la bête à concours qui va ingurgiter des QCM, avoir une capacité mnésique hallucinante mais qui sera probablement une porte de prison face à un patient.
Il y a désormais une partie d’oral qui permet de jauger les qualités humaines de ces étudiants-là, et il y en a d’ailleurs à qui ça ne plaît pas du tout, qui sont soudainement très mal classés sur ces épreuves.
Ce que l’on cherche c’est l’humanité, l’intérêt pour l’autre. Il y a un premier oral d’analyse sur un article de grande presse sur un sujet de société « non-conflictuel », l’idée est d’essayer pour le candidat d’évoquer l’intérêt pour autrui, l’intérêt collectif ou individuel. Et le deuxième oral est une mise en situation avec un acteur professionnel, une situation basique du quotidien comme un accident domestique : vous n’imaginez pas la quantité d’étudiants, étudiants en médecine donc, qui ont une réaction de pur égoïsme, de pur déni de la souffrance de l’autre… Alors que tout l’enjeu leur a été expliqué ! Et cela représente quasiment la moitié des points. Il y a aussi ceux qui sont incapables de dire quoi que ce soit, c’est particulièrement instructif sur les personnalités.
Projeté en vie professionnelle ces réactions deviennent « Monsieur vous avez un cancer, la secrétaire va vous donner votre prochain rendez-vous, au revoir » pour certains ou « Voilà, vous avez un cancer, ça va être compliqué, mais on est là, on va travailler avec vous, et on va s’en sortir » pour les autres. J’espère que ces oraux porteront du fruit sur les futurs professionnels de santé, que ça aura une véritable influence sur leurs réactions.
Le problème de sélection vient aussi du fait que les meilleurs ne vont pas passer ces oraux. La loi fait passer les plus « bêtes à concours » directement en 2e année. J’aimerais étendre cet oral au maximum au sein de la faculté pour que l’ensemble des étudiant soient confrontés à ça, c’est un vrai défi. C’est l’un des grands intérêts de la réforme.
Le problème c’est que l’étudiant a beaucoup de choses à enregistrer en parallèle, des incontournables des matières « dures », scientifiques. Les Sciences humaines et sociales représentent une part ridicule de l’enseignement, sur les 600 questions de l’examen je pense que 3 ou 4 intègrent l’éthique.
L’autre « problème » est qu’on ne cesse de développer la médecine ! Donc les compétences et connaissances nouvelles ne cessent d’augmenter, avec un temps de formation qui est toujours le même, 6 ans. J’adorerais qu’on rajoute des heures d’éthique, d’humanités… mais le même patient aura aussi envie que son médecin soit au summum de la connaissance sur les dernières techniques et méthodes !
Initiatives à valoriser, souligner, dupliquer
Notre formation fait partie des meilleures, contrairement à ce qu’on croit parfois. Dès la 2e année, c’est une vraie chance, les étudiants - quelle que soit leur filière (infirmière, sage-femme, etc.) - ont accès aux patients. À l’étranger, il s’écoule un paquet d’années. Une partie théorique s’apprend à l’université puis la réalité, la situation clinique, s’apprend au contact du patient. Le système français est un des rares à proposer cela et les conséquences sont énormes. On n’apprend pas à être chirurgien en opérant des cadavres, on n’apprend pas à piquer quelqu’un sur un bras en plastique (ou seulement une fois) …
Cette relation physique avec le patient est particulière et nous est assez enviée.
Quant aux axes de progression on pourrait être meilleurs en simulation, en apprentissage à distance, en horizontalité… On reste dans un modèle très descendants. On commence à en sortir mais lentement. Les étudiants aussi restent très attachés, habitués au cours magistral, à un modèle très vertical. Aux États-Unis ou à Singapour les universités sont très impliquées sur de nouvelles approches pédagogiques.
L’un des problèmes est que les facultés françaises se jaugent entre elles sur les classements, et on tombe dans le bachotage. Pour lutter contre ça il faudrait que le choix des spécialités soit revu. Aujourd’hui mieux on est classé plus on a de choix… un modèle dont on ne sort pas.