Table ronde – Audace, créativité et leadership authentique

Intervenants :

• Kevin Anselme, CIO Fragrances & Beauty chez Chanel

• Anne-Christine Champion, Co-Directrice Global Banking & Investor Solutions chez Société Générale et Marraine du groupe Accelerate 8

• Diane d’Audiffret, Co- fondatrice et Directrice Générale de SIS UP et fondatrice de UP for Humanness

Animatrice de la table ronde :

• Lidwine Charbeau Mansart, Directrice de programmes - Corporate University Société Générale

Lidwine : Kevin, en quoi votre fonction de CIO vous permet-elle de parler d’audace et de créativité aujourd’hui ?

Kevin :

« Je ne sais pas coder. Et pourtant, cela fait quatre ans que je suis CIO. Mon parcours a commencé dans la supply chain, j’ai bifurqué vers les projets de transformation, puis vers le numérique. Ce qui me stimule, c’est d’imaginer ce qui n’existe pas encore, et d’emmener les équipes dans cette direction. »

« Enfant, je rêvais d’être pirate de l’espace. Aujourd’hui, j’ai le sentiment de vivre une version de ce rêve : je guide un équipage à travers l’inconnu. »

« Je suis issu d’un milieu rural, multiculturel, un parcours atypique… mais au fond, je crois qu’il n’existe plus de profil “typique”. La diversité est devenue indispensable. »

Lidwine : Anne-Christine, dans un secteur aussi régulé et structuré que la banque, comment l’audace trouve-t-elle sa place ? Comment s’est-elle manifestée dans votre parcours ?

Anne-Christine :

 « En 2012, je reviens de mon troisième congé maternité et je suis nommée cheffe de projet sur une transformation majeure post-crise chez Natixis. Je tombe sur une affiche dans un couloir : “Avancer ou mourir”. J’ai choisi d’avancer. Je suis allée voir mon équipe et je leur ai dit : “Voilà où on va. On y croit, on y va ensemble.” C’est là que j’ai compris que, sous contrainte, on peut faire preuve d’encore plus d’innovation.

Une faiblesse peut devenir une vraie force. »

« En 2015, j’essaie de créer un nouveau poste en vain. Après neuf mois de frustration accumulée, je prends mon courage à deux mains et vais voir le CEO. Il a salué ma démarche. L’audace, c’est aussi savoir dire les choses. Et ce moment-là m’a appris que parfois, ne pas oser est une leçon… mais qui peut justement nous pousser à agir. »

« J’ai également fait preuve d’audace en rejoignant Société Générale : un choix difficile, sans certitude absolue. Mais on ne sait jamais vraiment si on prend la “bonne” décision. L’important, c’est de la prendre… puis de la rendre bonne. »

Lidwine : Diane, à quel moment avez-vous fait preuve d’audace ?

Diane : 

« Je n’ai pas toujours été audacieuse, mais mon moteur a toujours été le service à l’autre. C’est ce fil rouge qui a guidé mes choix, et parfois, c’est la vie elle-même qui a provoqué mon audace. »

« J’ai une conviction profonde : les personnes fragilisées nous révèlent nos besoins fondamentaux et les failles de la société. Et ces personnes ne sont pas qu’à l’extérieur. Elles sont aussi dans vos équipes, dans vos entreprises. »

« Accepter l’incertitude, c’est notre réalité au quotidien. Apprendre à naviguer dans cet inconnu, c’est, selon moi, la mission première d’un leader. Il doit savoir créer des îlots de sécurité pour ses équipes, poser un cadre de confiance pour leur permettre d’oser. »

Lidwine : Avec quoi souhaitez-vous que ces femmes, futures leaders, repartent à l’issue de ce parcours Accelerate 8 ?

Diane :

« J’aimerais qu’elles repartent avec la conscience que la créativité est une boussole intérieure. Pour ma part, j’écris, je lis, je marche… Ce sont mes façons de rester alignée. »

Kevin :

« La créativité est une ressource inépuisable dans cette navigation de l’incertain. Elle permet d’y prendre du plaisir. Même à titre personnel, elle m’aide à rester ancré, et à proposer des manières de faire que d’autres peuvent adopter ou non. C’est une invitation à réfléchir. »

« Tout part d’un ancrage. Une authenticité. Parfois imposée par les circonstances, parfois née d’un passage obligé : Qui suis-je ? Quelle est mon histoire ? C’est là que réside le véritable moteur. C’est aussi à ce moment que surgissent l’audace et la créativité. »

Lidwine : Comment être authentique selon vous Kevin ?

Kevin :

« Regardez le discours de Steve Jobs à Stanford en 2005 : “Trouvez ce que vous aimez.” Mais comment savoir si l’on est vraiment aligné avec soi-même ? Voici deux questions que chacun devrait se poser :• Qu’est-ce que je voulais être quand j’étais enfant ?• Et si, à 70 ans, ma carrière s’achevait : qu’aimerais-je que l’on dise de moi ? »

« Si ces deux versions de vous — l’enfant et le vieillard — pouvaient se parler, seraient-elles en accord ? C’est dans ce dialogue intérieur que j’ai compris que le passage à l’acte devait puiser dans son histoire personnelle, dans une narration. Quand on est aligné avec qui l’on est, on puise une énergie immense, qui nous rend créatifs… et ouverts à l’autre. »

Lidwine : Et si l’on souhaite insuffler de la créativité chez l’autre, par où commencer ?Diane :

« J’ai deux garde-fous : rester connectée aux réalités du terrain — la maladie, le handicap — cela me remet à ma juste place ; et cultiver l’équilibre entre le corps, la tête et le cœur. Je suis attentive à mes émotions, à ce que je ressens quand je me promène, quand je lis de la philosophie, pour prendre du recul. »

« On ne conduit pas un entretien annuel de la même manière si on a reçu des fleurs le matin ou si l’on s’est disputé avec son compagnon. On travaille avec ce que l’on est. Et sans confiance, il n’y a ni audace, ni créativité possible. »

« En tant que manager, ma mission est de croire en la capacité de chacun à grandir. »

Anne-Christine :

« La diversité est un formidable moteur de créativité. Elle nous oblige à écouter, à sortir de nos schémas habituels, à construire un espace de confiance. »

Lidwine : Et pour vous, Kevin, comment stimuler la créativité au sein de vos équipes ?

Kevin :

1) Ma perception du rôle de manager

« Je me considère avant tout comme au service de l’entreprise, et au-delà, de la société. Je suis locataire de mon poste : je n’en suis pas le propriétaire, mais le gardien. Ma responsabilité, c’est de le faire prospérer, avec et pour mes équipes — pas à leur détriment. »

« Je veille à la réussite de l’ensemble de l’équipe, pas seulement à celle de quelques individus. Cela implique une écoute sincère, une disponibilité, une présence constante. Je cherche à créer un environnement où chaque membre peut s’ancrer pleinement, et où la diversité des personnalités peut s’exprimer. »

2) La sécurité psychologique

« J’ai pour principe que lorsqu’un collaborateur exprime un avis divergent, il a de bonnes raisons de le faire. Créer un climat de sécurité psychologique, c’est permettre cette liberté d’expression, indispensable à une vision collective élargie et à des décisions éclairées. »

« Dans mon équipe, il y a un râleur — et je l’apprécie beaucoup. Il me pousse à me remettre en question. Son franc-parler est précieux. Et si plus personne ne disait rien, ce serait le signe que notre capacité à progresser est en danger. »

3) Des valeurs incarnées dans les comportements

« On parle souvent de valeurs… mais une culture ne se décrète pas : elle se vit. Quand j’ai pris une nouvelle équipe en main, il a fallu la rebâtir, et cela passe par des comportements concrets. »

« Un exemple parlant : chez Starbucks, peu importe l’endroit, on se sent chez Starbucks. Ce sentiment ne vient pas d’un slogan, mais de comportements définis pour des situations précises. »

« Avec mon équipe, nous avons donc défini quatre principes simples, incarnant notre état d’esprit :

• Faire partie de la solution, pas du problème : adopter une posture constructive.

• Dire ce qu’on va faire, et faire ce qu’on a dit : miser sur la transparence et l’engagement.

• Si c’était votre entreprise, le feriez-vous ? : encourager la responsabilité individuelle.

• Have fun ! : cultiver le plaisir au travail, même sous pression. »

« L’objectif est clair : faire vivre nos valeurs à travers des comportements visibles, concrets, assumés. »

Merci beaucoup pour cette table ronde très riche.