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Donner du sens et répondre à un besoin fondamental des salariés

Dernière mise à jour : 17 juil.

Dominique Danjean est directeur de la coopérative SCA Centre située à Yzeure, dans l’Allier, et qui emploie plus de 300 salariés. Il est aussi président d’équipe du mouvement Entrepreneurs et dirigeants chrétiens et nous parle de la place de la spiritualité en entreprise.


SIS UP : Quelle pourrait-être la dimension spirituelle d’une entreprise ?


Je crois qu’il y a une dimension de l’entreprise qui relève d’autre chose que du matériel, oui. Du religieux, non. À partir du moment où il s’agit d’une communauté d’hommes et de femmes, je suis convaincu que le dirigeant a pour rôle de considérer la dimension humaine de l’entreprise. Le terme spirituel ne me convient pas en entreprise s’il se rapproche de Dieu. S’il se rapproche d’une mission dont on se sent investi, bien sûr. En tout cas dans ma manière d’aborder les choses oui, je sens que ma spiritualité me guide.


Il y a aujourd’hui une grande mode de la quête du « bonheur au travail », notamment avec la création de postes d’Happyness managers. C’est assez décrié, peut-être étonnant d’imaginer qu’il soit nécessaire d’avoir un salarié à plein temps sur un poste de ce type, et pour autant moi, j’y crois. Être profondément heureux au travail est essentiel, pour chacun et pour l’équilibre de l’entreprise. L’Évangile nous parle de la joie, du fait que Dieu apporte la joie en toutes circonstances, qu’il faut demander la joie pour la transmettre... Je suis loin de prétendre « apporter la joie » seul en entreprise, et en même temps pourquoi pas ! (Rire). On se sent investi de cela aussi, en tant que chrétien.


Notre coopérative a été choisie par la DIRRECTE[1] comme « entreprise inclusive leader de l’Allier ». C’est tout sauf une médaille... c’est la reconnaissance d’une politique volontariste d’attention à l’autre, au différent. Concrètement, nous avons accueilli des migrants maintenant bien intégrés, nous avons permis en travaillant avec la médecine du travail à deux personnes de sortir de leur addiction à l’alcool, nous avons payé des cours de français à un étranger pour qu’il puisse intégrer nos équipes... ce ne sont que quelques exemples.


L’attention à l’autre a aussi été, par exemple, le choix de protéger mes équipes en leur fournissant des masques (en tissu made in France), j’ai ainsi pu les protéger dès la moitié du mois de mars, alors qu’aucune entreprise n’en avait.


Les salariés se sont sentis valorisés et sont venus travailler en confiance. C’était un élément de cette attention qui se manifestait de manière bien visible. L’attention à l’autre peut aussi être suscitée par des formations de tuteurs qui accueillent les nouveaux, par une politique volontariste d’accueil d’apprentis (14 tous secteurs à tous niveaux de diplômes), ou encore par des groupes de travail transverses pouvant intégrer des membres du CSE, et permettant de traiter des sujets d’intérêt général. Cette attention a une dimension spirituelle, elle l’a pour moi... mais je pense qu’elle peut aussi être ressentie comme telle par d’autres.


SIS UP : La quête de valeurs d’entreprise, de « sens au travail », est-elle signe d’un besoin spirituel des collaborateurs ?


Le sens au travail est un besoin fondamental pour les salariés. Au SCA Centre, nous n’avons pas de charte, et il n’est pas toujours facile de parler de « sens » quand notre métier est de charger, transporter et décharger des palettes… !


Cela étant, avec l’épidémie de Covid-19, la grande distribution a été valorisée et les gens ont senti qu’ils avaient une importance pour la société. En mars 2020, avec le premier confinement, il y avait beaucoup d’incertitudes, les salariés ne savaient pas où ils allaient et pourtant il y a eu une baisse de l’absentéisme ! On mettait en exergue le rôle des salariés, on comprenait pourquoi notre travail est essentiel.


Comprendre l’impact de son travail démultiplie la motivation, fait bouger les choses. Pour prendre un exemple concret dans notre secteur : il y a une partie des transpalettes qui est robotisée, pour que tout tienne il faut trier les palettes, respecter les formats, etc. On a tendance à dire ce qu’il faut faire, comment le faire, mais pas pourquoi il faut le faire… Quand on a commencé à le dire, on a vu la différence ! Je crois que c’est le début du « sens au travail ».


Et plus globalement, pour nous, le sens, c’est d’alimenter la population. Est-ce pour autant nécessaire de le mettre dans une Charte ? Je ne sais pas. Il faut surtout le vivre au quotidien, l’essentiel est là.


Quant au mot « spirituel », il me met mal à l’aise, il est trop fort, trop religieux pour moi. Je crois simplement que le corps fonctionne mieux quand il sait pourquoi il fonctionne : on ne peut pas gravir une montagne sans savoir où on va, pourquoi on y va. C’est pareil pour un emploi, qu’il soit physique ou intellectuel. Il y a une dimension qui va au-delà de la simple satisfaction du salaire, c’est évident.


On l’a bien vécu en entreprise au moment où il y a eu ce qu’on a appelé les « primes Macron ». Les salariés ont reçu une prime mais nous n’avons jamais reçu un « merci ». Quand, en revanche, j’ai décidé d’offrir des gourdes solides pour éviter le gaspillage et par mesure d’hygiène, personne ne l’avait demandé mais nous avons reçu beaucoup de « merci » ! L’intention, le sens, le souci de l’hygiène touchent bien plus. Quand on donne de l’inattendu, on est remerciés.


SIS UP : Comment sont vécues les périodes de confinement par vos salariés ? Comment respecter des temps de repos, de gratuité ?


Lors du premier confinement, j’ai pris la décision très rapidement d’organiser du télétravail mais en réalité jamais à 100%. Je tenais à permettre aux salariés de garder un vrai lien avec l’entreprise, un lien concret. Il m’a paru important de garder des moments d’échange sur place.


Pour le deuxième confinement, personne ne voulait de télétravail, parce que l’entreprise est un lieu d’échange, de sociabilité, pas seulement un employeur qui verse un salaire contre un travail. Personne ne voulait, personne. J’ai été obligé de le faire au minimum mais il faut comprendre : deux personnes étaient en pleurs au moment des annonces ! La médecine du travail a reconnu ce besoin, assurant que pour tel ou tel salarié le télétravail n’était pas possible.


Quant aux temps de repos ou de gratuité, il n’est pas évident de savoir ce que les gens vivent. Il y a une équité sur les temps de repos, un respect des périodes de pause, mais chacun fait ce qu’il veut de ce temps ! Je crois qu’il faut aussi autoriser voire susciter des moments de décrochages, ces moments qui permettent de trouver la bonne idée en sortant du cadre, ce qu’on peut appeler l’inspiration. Mais c’est très anti-culturel dans l’entreprise que je dirige. Ces décrochages vont surtout être créés par la rencontre avec les autres. Je pense que l’art est un medium efficace pour cela et j’avance à petits pas sur le sujet. La période de la Covid a malheureusement mis provisoirement fin à mes ambitions en la matière.


Je suis arrivé dans une entreprise qui fonctionnait « à l’ancienne ». En quelques années, certaines choses ont changé, j’ai essayé de créer des moments de convivialité, nous organisons des Portes ouvertes pour les familles des salariés, on a eu jusqu’à 500 personnes dans les locaux. On a une équipe de football, une petite équipe de tennis… Je ne suis pas encore arrivé à faire plus. Je crois que la communication en dehors du travail facilite la communication dans le travail. Les pots de début d’année ou de fin d’année sont maintenant organisés au bowling, dans un cadre plus informel, ce n’est pas grand-chose mais ça change la relation.


La communication interne est essentielle, on organise aussi des « Vis ma vie », des sessions pendant lesquelles un salarié part à la découverte d’un autre poste, et ça fonctionne bien. Certains travaillaient ensemble depuis 25-30 ans et ne savaient pas ce que faisait l’autre ! On a aussi créé un réseau interne qui fait beaucoup de bien, fait sortir de l’anonymat.


Ce genre de nouveaux outils, bien utilisés, permettent de rentrer dans une dynamique humaine. Dans le travail en commun, dans des temps d’équipe autour d’activités culturelles aussi, avec du théâtre par exemple ou la visite d’un musée, on a vécu de belles choses. Certains n’avaient jamais mis le pied dans une exposition et je voyais quel bien ça leur faisait, combien ils appréciaient. Je crois que le « beau » dans l’entreprise a du sens aussi.

 

Dominique Danjean est directeur d’une coopérative régionale de grande distribution qui appartient au groupe E. Leclerc, en Auvergne-Rhône Alpes. Il est aussi directeur d’équipe au sein du mouvement des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens.


[1] DIRRECTE : Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.

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