Alexandre Maymat est directeur de Global Transaction and Payment Services au sein de la Société Générale. En 2012, en dévoilant son homosexualité jusqu’ici cachée, il a porté un nouveau regard sur certaines difficultés d’inclusion et une position de minorité. Cet événement l’a forcé à réviser son rapport à la différence et à la culture d’entreprise.
Une entreprise qui promeut la diversité de ses équipes est plus performante. Mais la diversité sans l’inclusion ne sert à rien. On ne capitalisera sur nos différences que si elles s’expriment, dans le respect et en liberté.
Et cette liberté, elle se conquiert.
Je sais depuis mon adolescence que j’ai une inclination homosexuelle. Je suis né dans une famille catholique et bourgeoise et la veille de sa mort du sida en 1994, mon frère, âgé de 24 ans, me confiait son réconfort de savoir que je continuerais à perpétuer notre nom. Alors j’ai épousé ma meilleure amie et j’ai eu quatre enfants. J’ai souffert, j’ai fait souffrir, mais la vie est têtue : à cinquante ans, j’ai fait mon coming out et j’ai épousé Franck en juin 2012. Il m’a aussi fallu du temps pour assumer mon homosexualité à la banque. Aujourd’hui, je me sens libéré, réconcilié avec moi-même, heureux car en vérité avec ceux que j’aime, en particulier mes quatre merveilleux enfants.
Durant cette période transitoire, j’ai basculé d’un statut de modèle dominant à celui de membre d’une population minorisée. Pour la première fois, je me suis interdit de dire pleinement qui j’étais. Peur du regard des autres, peur du jugement, difficulté à me sentir faire partie d’une minorité ? Pourtant, en tant que membre du Comité de Direction de la Banque, et vivant à Paris, je me sentais protégé.
Sans faire l’amalgame entre des situations très diverses, un certain nombre de personnes, parce qu’elles sont homosexuelles, parce qu’elles viennent d’un milieu moins favorisé, parce qu’elles ont une culture différente de celle qui domine, parce que ce sont des femmes dans un monde d’hommes, parce qu’elles ont un handicap, arrivent tous les matins dans l’entreprise avec un masque, la boule au ventre, engoncés dans un costume qui n’est pas le leur. Ces situations singulières ont en commun de bousculer l’ordre établi, un entre-soi confortable, des repères, des modes de fonctionnement.
Quand ces personnes parlent à la cafétéria de leur week-end avec leur conjoint, ils utilisent des périphrases pour ne pas révéler qu’il est du même sexe qu’eux. Elles bannissent de leur langage toute expression ou accent qui puisse révéler leur milieu social, elles n’abordent pas leur handicap qu’elles tentent de rendre le plus invisible possible, elles s’en veulent de ne pas avoir les codes de bienséance bourgeoise, les canons du management dominant ou les modes de pensée des grandes écoles. Elles arrivent avec leurs souffrances, leurs peurs, une confiance en elles altérée par l’idée qu’elles se font, parfois à tort, de ce que l’on pense d’elles.
Face à elles, adopter une posture de neutralité, si chère à la culture française, ne suffit pas : faire comme si les différences n’existaient pas ne suffit pas. Il faut créer un environnement de travail dans lequel, au contraire, on valorise la différence, on invite chaque collaborateur à se sentir en droit de dire qui il est. C’est alors que chacun donnera le meilleur de soi.
S’engager dans un combat pour créer une entreprise inclusive requiert une volonté sans relâche et un temps long.
Respecter les réglementations qui condamnent toute discrimination n’est pas suffisant. Faire évoluer la gouvernance de l’entreprise n’est pas assez. A la Société Générale, nous multiplions les initiatives : outil permettant à chacun de manière anonyme d’épingler toute situation de discrimination, création d’un board de la diversité et de l’inclusion, objectifs quantitatifs pour promouvoir des femmes et des internationaux à des postes de responsabilité, référent diversité et inclusion dans les principaux départements, signature de la charte de l’Autre Cercle, engagement négocié avec les partenaires sociaux pour ouvrir davantage nos postes à des travailleurs handicapés…
Nous l’observons cependant, l’enjeu est d’abord culturel. Et il se construit autour de trois convictions :
Quand vous traitez un sujet d’inclusion, vous les traitez tous. L’objectif de « mieux travailler ensemble » dans une situation donnée profite à tous.
Il faut une mobilisation du top management. Travailler sur la culture prend du temps, requiert de l’exemplarité et de la constance au plus haut niveau.
C’est dans le quotidien du travail, sur le terrain, que les choses se jouent. L’inclusion est un enjeu de proximité : encourager le dialogue, inviter nos collaborateurs à ne tolérer aucune situation de discrimination, accompagner nos managers dans l’accueil de la différence pour qu’ils fassent de celle-ci, dans toutes ses formes, une richesse. Il en va du développement de chacun et de celui de l’entreprise à long terme.
Être soi est un combat intérieur, pour tous. C’est aussi pour certains un combat extérieur. Et par respect pour eux, ça doit cesser. Continuons à promouvoir la vision d’une entreprise de progrès, dans laquelle la différence est toujours une chance, jamais une menace.
Alexandre Maymat
Diplôme de l’École polytechnique et de l’École nationale de Statistiques et d’Administration Économique, il a commencé sa carrière au ministère de l’économie avant d’intégrer la Société générale et d’occuper de nombreux postes de direction en France et en Afrique. Depuis 2019, il occupe le poste de directeur de Global Transaction and Payment Services.