Vincent Vigneau, Président de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, nous partage son vécu et ses recommandations pour concilier maladie invalidante et emploi.
Pourquoi avez-vous annoncé à votre entourage professionnel que vous étiez malade ?
En 2019, j’ai été diagnostiqué d’un cancer à un stade avancé. Très vite, il a eu de nombreux retentissements visibles sur ma vie quotidienne (utilisation d’une canne…), ce qui m’a amené assez naturellement à en parler à mon entourage professionnel, d’autant plus que l’ambiance y est très bienveillante.
Avez-vous regretté d’en avoir parlé dans votre milieu professionnel ?
Je n’ai regretté à aucun moment d’en avoir parlé, je dirais même que dans mon cas c’était nécessaire. Cela m’a permis de me faire accompagner, de faire la démarche d’une demande de RQTH et d’accéder à des aménagements spécifiques.
Conseillez-vous aux personnes atteintes d’une maladie invalidante d’en parler elles aussi dans leur milieu professionnel ?
Pour moi, cela dépend de deux choses : notre acceptation du regard des autres et le type de milieu dans lequel on travaille. J’ai la chance d’être dans une institution où je bénéficie d’une sécurité de l’emploi, où la bienveillance est fortement valorisée. Beaucoup n’osent pas en parler, surtout dans le secteur privé. Dans tous les cas, il est fondamental de respecter le choix de chacun.
Ce qui est primordial, c’est que l’entreprise mette en place des conditions permettant aux personnes qui ont besoin de s’exprimer sur le sujet de pouvoir le faire. Il ne faut pas hésiter à dire à un collègue « je pense à toi » alors même qu’on pense que cette phrase est ridicule ! Elle fera toujours plus plaisir que de ne rien dire.
Concrètement, comment avez-vous organisé votre quotidien entre votre maladie et votre travail ?
Je ne me suis quasiment jamais arrêté pendant toute la durée de mes traitements, sauf pendant la radiothérapie (j’ai pris deux semaines). Le travail était la seule chose qui me raccrochait à ma vie d’avant : mon corps et ma vie familiale étaient transformés, j’avais besoin qu’une partie de ma vie ne soit pas trop impactée.
Avec du recul, que conseillez-vous pour gérer au mieux cette période ?
Avec du recul, ce n’était pas forcément une très bonne idée de ne pas m’arrêter ni de diminuer la quantité de travail : j’étais épuisé au moment de mes vacances et je l’ai payé après.
Je préconise plutôt un aménagement d’horaires selon les besoins de chacun, mais en tout cas de garder au maximum un lien avec le milieu professionnel. C’est important pour ne pas perdre pied, le travail a un impact sur notre estime de soi et notre reconnaissance personnelle.
Comment avez-vous appréhendé votre retour à l’emploi ?
Je ne me suis jamais vraiment arrêté donc je ne suis peut-être pas le bon exemple pour témoigner sur le retour à l’emploi. En tous cas, pour avoir échangé avec d’autres personnes atteintes d’une maladie invalidante, on est beaucoup aidé et assisté pendant toute la durée des traitements. Recommencer à travailler peut être un bon moyen de se sentir utile à nouveau pour la société. Il y a également des enjeux économiques : quand on a un cancer, on ne peut plus accéder à un crédit par exemple.
Quelles bonnes pratiques pour un retour à l’emploi réussi ?
Pour moi, il est vraiment indispensable d’aller voir le médecin de prévention et le référent handicap au moment de son retour. Ce sont eux qui sont formés à l’accompagnement du handicap et de l’ALD. Ils permettent d’aborder le mieux possible le retour à l’emploi, l’aménagement du poste, la manière de communiquer auprès de ses collègues…
Quels rôles les entreprises doivent-elles jouer pour faciliter le retour à l’emploi ?
Dans tous les cas, c’est important de véhiculer un discours bienveillant, de faire preuve d’ouverture et d’écoute pour que chacun se sente reconnu et valorisé dans ce qu’il est et ce qu’il fait. Il est important que les entreprises encouragent les témoignages et sensibilisent au quotidien les équipes.
Plus spécifiquement, il est intéressant de mettre en place des dispositifs d’alerte qui ne soient pas stigmatisants. Par exemple, pour chacun des membres de mon équipe, je déclenche un entretien dès lors que, régulièrement, il n’atteint pas ses objectifs. L’entretien se fait dans un cadre bienveillant et a pour objectif de donner l’occasion à la personne de s’exprimer sur une potentielle difficulté personnelle, familiale, organisationnelle… m’amenant à être plus attentif et compréhensif. Il est important de toujours respecter la liberté de chacun à parler ou non de sa vie privée, et ne pas demander de mentionner le nom de sa maladie s’il y en a une.
J’ai vu que vous aviez témoigné sur ce sujet, pourquoi ? Est-ce que vous avez eu des retours persos de personnes qui ont vécu cela ?
J’ai mis plus de 2 ans à témoigner tout de même : je suis d’abord passé par l’écriture d’un roman avec un format plus imagé
Je me réfère à mon propre vécu. On a des angoisses et des effets secondaires qui nous prennent entre personnes qui avons eu un cancer. Le regard des autres est différent.
Quelques années après, vous avez décidé de vous ouvrir en témoignant auprès du grand public, pourquoi ce choix ?
Au cours de ma maladie, en fréquentant les hôpitaux et autres patients, j’ai réalisé que de nombreuses personnes avaient du mal à parler de leur maladie autour d’eux. J’ai mis deux ans à me lancer : j’ai d’abord écrit un roman qui m’a permis de faire le point sur ce que j’avais vécu, puis j’ai fait une chronique dans le journal L’Opinion afin de témoigner de mon expérience de la maladie.
Pendant cette période douloureuse, j’ai fait de nombreux progrès sur le plan personnel. J’ai réalisé qu’auparavant je n’étais pas suffisamment à l’écoute des situations personnelles de mon entourage professionnelle. J’ai fait un gros travail d’introspection, j’ai développé une empathie que je n’avais pas avant et qui me sert au quotidien dans ma manière de manager mes équipes.
Un grand merci à Vincent Vigneau pour le temps qu’il a accordé à SIS UP et pour ses précieuses informations. 😊